Livre Le cerf-volant de Laetita Colombani
Lecture

Livre « Le cerf-volant » de Laetitia Colombani

Laetitia Colombani est une réalisatrice, actrice, scénariste et écrivaine française. J’ai déjà eu l’occasion de vous parler d’elle dans deux précédents articles, avec ses livres « Les victorieuses » et « La tresse ». Aujourd’hui, je vous parle de son roman « Le cerf-volant » que j’ai pris plaisir à lire. Là encore, elle met la condition féminine à l’honneur avec trois destins de femmes. Car malheureusement dans certains pays, naître femme est un handicap, un obstacle majeur pour accéder à l’éducation et à la liberté. 

Un drame fait basculer la vie de Léna, elle décide de partir en Inde afin de se reconstruire. Elle souhaite tout quitter, se faire oublier, essayer d’avancer malgré la douleur… Lors de son séjour, elle fera plusieurs rencontres inoubliables et réparatrices. On retrouve également la petite Lalita de son précédent livre, une indienne d’une communauté mal-aimée en Inde, les Dalits appelés aussi les « Intouchables ». Et puis il y a Preeti, une jeune femme engagée avec les Red Brigades. Fondée en 2011, cette organisation non gouvernementale basée en Inde existe pour de vrai et aide à la protection des femmes victimes de violences, utilisant pour cela l’intermédiation et l’apprentissage de la défense personnelle.

Laetitia Colombani parle de l’Inde hors des sentiers battus du tourisme : la pauvreté, le poids des traditions, les mariages arrangés, le travail des enfants, la difficulté d’exister en tant que fille, en tant que femme. Malgré l’impuissance que Léna ressent, elle a une idée en tête. Un projet plein d’embûches et de désillusions, mais qui a du sens, un beau combat !

Un roman qui nous permet de savourer la chance qu’on a et de relativiser nos petits tracas !

Extraits du livre

« « Ne marche pas devant moi, je ne te suivrai peut-être pas. Ne marche pas derrière moi, je ne te guiderai peut-être pas. Marche à côté de moi et sois simplement mon amie. » Albert CAMUS »

« « Les enfants ont tout sauf ce qu’on leur enlève », écrivait Jacques Prévert (…) »

« Partir, prendre le large, l’idée s’est imposée à elle comme une évidence, par une nuit sans sommeil. Se perdre loin, pour mieux se retrouver. Oublier ses rituels, son quotidien, sa vie bien réglée. Dans sa maison silencieuse où chaque photo, chaque objet lui rappelle le passé, elle craignait de se figer dans la peine, comme une statue de cire au milieu d’un musée. (…) L’éloignement se révèle parfois salutaire, songe-t-elle. Elle sent qu’elle a besoin de soleil, de lumière. Besoin de la mer. »

« Naître fille ici est une malédiction, pense-t-elle en quittant le dhaba. L’apartheid commence à la naissance et se perpétue, de génération en génération. Maintenir les filles dans l’ignorance est le plus sûr moyen de les assujettir, de museler leurs pensées, leurs désirs. En les privant d’instruction, on les enferme dans une prison à laquelle elles n’ont aucun moyen d’échapper. On leur retire toute perspective d’évolution dans la société. Le savoir est un pouvoir. L’éducation, la clé de la liberté. »

« La cheffe ne paraît pas étonnée par son récit. Bienvenue en Inde, souffle-t-elle. Dans les villages, les filles ne vont pas à l’école, ou n’y restent pas longtemps. On ne juge pas utile de les éduquer. On préfère les garder à la maison, les employer aux tâches domestiques avant de les marier lorsqu’elles atteignent l’âge de la puberté. »

« Bien sûr, elle avait entendu parler de la rude condition des femmes et des Intouchables, mais elle pensait que la situation avait évolué. (…) Elle vient d’un monde où l’instruction est un droit, une chance donnée à tous. L’école est obligatoire, dit-elle, en Inde comme ailleurs. Elle s’est renseignée, a fait des recherches sur Internet : une législation existe à ce sujet… Son hôte l’arrête d’un geste : la loi ne veut rien dire ici. Personne ne la respecte, et les forces de l’ordre se moquent de la faire appliquer. L’avenir d’une gosse de dix ans ne les intéresse pas. Le sort des filles n’émeut personne. »

« Ce pays dont on vante tant la splendeur, la culture et les traditions, serait-il un monstre à deux têtes ? Est-il possible qu’il soit le théâtre de tant d’injustices ? Que les droits des femmes et des enfants y soient à ce point bafoués ? (…) elle vient d’entrevoir un tout autre visage du sous-continent indien. Cette contrée, berceau de l’humanité, qui a vu naître Bouddha, la médecine ayurvédique et le yoga, cache une société profondément divisée, qui sacrifie tous ceux qu’elle devrait protéger. »

« Elle a déjà du mal à conjuguer le présent, le futur lui semble hors de portée. Elle songe à cette phrase de Kierkegaard : « La vie doit être comprise en regardant en arrière. Mais il ne faut pas oublier qu’elle doit être vécue en regardant vers l’avant. »

« Bien qu’elle incite les autres à parler, à dénoncer les abus dont elles sont les victimes, Preeti ne s’étend pas sur sa propre expérience. Elle se contente d’évoquer ce voisin malveillant, croisé le jour de ses treize ans. Elle avoue la douleur, la honte. L’effroi aussi, devant la réaction de ses parents qui, pour réparer le déshonneur de la famille, ont voulu la marier à l’homme qui l’avait agressée. Une trahison qu’elle n’a jamais pardonnée. Révoltée par l’indigne arrangement auquel ils la poussaient, elle a préféré fuir. Plus jamais ça, s’est-elle juré. Elle est partie la nuit, charge d’un maigre baluchon, laissant derrière elle sa maison et tous ceux qu’elle aimait, ses frères et sœurs et ses amis. Seule sur les routes, elle a eu peur, faim et froid. Elle a vite pris conscience de sa vulnérabilité : ici, les filles sont des proies. Elle tressaille aujourd’hui à la pensée de ce qui aurait pu lui arriver. »

« (…) elle est heureuse d’aider les autres, comme elle-même l’a été. (…) De cette grande chaîne d’espoir et de solidarité, elle se voit comme un petit maillon, dérisoire et pourtant essentiel. Une main tendue, à d’autres mains liée. »

« L’amour de François l’a remplie, accompagnée, comblée durant toutes ces années. Ils n’ont jamais été parents mais ont été tant d’autres choses, amis, complices, amants. Ensemble, ils ont tant partagé. »

« (…) elle se sent étrangère à ce qui l’entoure, absente, en retrait. Comme si elle marchait à côté d’elle-même, à l’ombre de la vie qu’elle a jadis menée. »

« Le deuil est un chagrin indivisible, que nul ne vous aide à porter. A chacun de s’en arranger. »

« Leur histoire n’était pas de celles qui inspirent les films bollywoodiens : il n’y avait pas de rebondissements, pas de péripéties, pas de grandes déclarations. Juste une tendresse infinie, une complicité de corps et d’esprit. Un bonheur fait de mille petits riens, qui ne craint pas l’épreuve du quotidien mais s’en trouve renforcé. Un amour au long cours. Un amour, tout court. »

« L’arrivée de la puberté marque pour elles un changement brutal : elles passent sans transition du statut d’enfant à celui de femme. Dans les régions pauvres et rurales, leurs parents s’empressent de les marier, voyant là l’opportunité d’alléger la charge qui pèse sur eux. La loi fixe pourtant l’âge légal du mariage à la majorité, mais dans les villages, elle n’est jamais respectée. Après les noces, la jeune épouse quitte sa famille pour s’installer dans celle de son mari dont elle devient la propriété. Soumise à l’autorité de sa belle-mère, elle est tenue de lui obéir, d’effectuer les tâches ménagères de l’aube au coucher du soleil – une existence sans horizon, sans aspirations personnelles. Dans le meilleur des cas, elle est bien traitée, respectée. Dans le pire, elle est frappée, insultée, parfois même abusée par les autres hommes du clan. Lorsqu’elle ne donne pas satisfaction, elle s’expose à de terribles châtiments ; il arrive que certaines soient défigurées à l’acide, d’autres aspergées d’essence et brûlées vives. Un sort qui terrifie des millions de filles à travers le pays. »

« Mariées jeunes, les femmes ont une progéniture nombreuse, qu’elles peinent à nourrir. Le manque d’éducation bloque non seulement leurs perspectives d’évolution, mais aussi celles de leur descendance. Léna le sait : éduquer une femme, c’est éduquer toute une nation, comme l’affirme un proverbe africain. Les jeunes filles qu’elle côtoie n’auront aucune autre chance de s’élever : l’école est la seule échappatoire possible à l’invisible prison où la société veut les enfermer. »

« Son regard est vide, résigné. En elle, quelque chose s’est éteint, comme un reste d’enfance qui vient de s’envoler. »

« « L’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous sert de lanterne », a écrit René Char. »

2 commentaires

  • Goliez

    Bonjour Noémie,
    Merci d’avoir partagé ce coup de coeur.
    J’ai adoré la tresse, magnifiquement adapté au cinéma par ailleurs.
    Le cerf-volant est dans ma pile de futures lectures,
    hâte de me replonger dans l’univers de Laetitia !
    Aurore

  • Noémie

    Bonjour Aurore et merci pour ce retour. Oh, je ne savais pas qu’un film « La tresse » sortait ce mois-ci, je viens de regarder la bande-annonce du coup ! 😉 Bonne lecture avec Le cerf-volant et à bientôt sur le blog !

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